J’interviens ici en tant qu’architecte conseil de l’Etat.

J’ai visité cette année quelques villes, en France, Bordeaux, Rennes, Nantes, bien sûr Lille, Rouen, le Havre; ce sont des villes, qui se pensent comme métropoles, engagées dans des projets urbains, avec des politiques volontaires, des urbanistes et des architectes capables de parler de la ville au sens large, du territoire autour, sur un temps long. Ces dynamiques urbaines donnent des lieux passionnants d’expérimentations, sur les formes urbaines, sur de nouvelles typologies d’habitat, de densité, de mixité, dans la manière de s’interroger sur construire durable etc.

J’ai eu des impressions d’être à Rotterdam, ou à Barcelone, il y a 10 ans. C’est très encourageant.

Par contre, si on quitte la métropole, l’histoire n’est plus la même. Et ce n’est pas une histoire marginale. 80% de la construction en France se fait dans des villes de moins de 2000 habitants. Plus de 90 % des maisons individuelles sont faites par des pavillonneurs. Le territoire constructible est pensé, découpé par des géomètres et construit par des pavillonneurs.

On est tous d’accord pour déplorer cette situation et pour dire que d’ici quelques dizaines d’années, voire quelques d’années, la situation va nous sauter à la figure.

Plus on s’éloigne de la métropole, de ses dynamiques économiques, sociales, culturelles, de ses transports en commun, plus les territoires sont de moins en moins mélangés, de moins en moins partagés. Le territoire du géomètre et du pavillonneur est un territoire, je vais citer Jacques Douzelot dans « les villes à trois vitesses » d’hyper mobilité contrainte.

Les familles se sont éloignées des centres, par obligation économique face aux prix du foncier, peut-être pour se rapprocher de la nature et en fait elles vivent avec et par la voiture.

Dans ces lotissements, une classe moyenne fragilisée, se referme sur elle-même avec des réflexes sécuritaires. On y trouve des dispositifs de rejet, d’exclusion. C’est un problème politique, car le rôle du politique est de régler la manière de vivre ensemble et de constituer  une société.

Que sont ces territoires laissés aux géomètres et aux pavillonneurs ? sur quels règles, principes sont-ils fondés ?

Il existe une mécanique économique autonome qui lie le prix du foncier, la petite commune, la zone NA, le géomètre et le pavillonneur. Cette mécanique  aboutit au lotissement dans la plupart des cas et au lotissement dur: souvent une enclave autonome, homogène, égalitaire, répétitive, avec la maison isolée sur sa petite parcelle entourée de voirie. Nous ne sommes pas dans des dispositifs du vivre ensemble mais dans des dispositifs de la séparation.

Les principes qui fondent l’aménagement et l’habitabilité  de ces parties de territoires sont séparatifs. Par exemple :

  • La clôture sépare le lieu public et le lieu privé; la maison, du chemin qui y mène
  • La maison ne touche pas la clôture ni les séparatifs mitoyens
  • Souvent le garage ne touche pas la maison
  • Les maisons ne se touchent pas entre elles
  • Il n’y a que de l’habitat unifamilial
  • Il y a privatisation de l’espace commun et disparition de l’espace public.

Comme si ces territoires avaient perdu, finalement, la capacité d’intégrer des éléments disparates, comme si les politiques, les investisseurs et les professionnels avaient un réflexe, une incapacité peut-être, à ne pas affronter le montage d’opérations plus complexes. On retrouve d’ailleurs ce réflexe dans des opérations de renouvellement urbain basées sur la trilogie : démolition/ maillage/ résidentialisation.

Comme architecte conseil, je suis confrontée à tous ces petits massacres, massacres de paysages, de villages et d’usages. Comment intervenir sur la manière de construire là où le sol et les opérations sont privés?

L’idée est d’amorcer avec les services territoriaux,  un travail sur le règlement, les articles du POS/PLU à travers une pédagogie de développement durable où les maires seraient associés.

Je pars du postulat que le règlement détermine en partie la forme urbaine. Rem Koolhaas dit : l’urbanisme crée un possible que l’architecture réalise.

Or la forme urbaine induite par une grande majorité des règlements est le lotissement, sur lequel se nourrit la mécanique économique dont je parlais précédemment.

La loi SRU a institué le passage des POS en PLU. On constate que les articles des PLU ont tendance à reproduire ceux du POS, sans interroger plus la forme urbaine. Les mêmes articles sont multipliés sur tout le territoire dans un copié-collé général.

Travailler sur le règlement, c’est le rendre plus ouvert, plus souple, moins séparatif, pour que la complexité à la base du sol urbain, l’invention, l’innovation puissent apparaître. Actuellement, non seulement les règlements induisent la forme du lotissement, mais ils interdisent parfois toute autre forme d’habitat.

On va regarder rapidement les articles qui pourraient évoluer.

Bien sûr il n’est pas question de faire une micro théorie de la congestion koolhassienne, applicable aux villages, mais bien de trouver une sorte d’urbanité et de citoyenneté à ces lieux homogènes et indistincts. Introduire la possibilité d’activités diversifiées, économiques, sociales et culturelles. Trouver des dispositifs ouverts qui génèrent des échanges, qui dynamisent l’usage pour pouvoir vivre ensemble, dans de l’habitat individuel hors métropole.

 

Regardons ces règles dans l’ordre où elles sont écrites :

art. 1 et art.2 occupations et usages du sol admises ou interdites . usage des terrains . ces articles autorisent l’habitat et interdisent tout le reste. Ça détermine des zones de lotissements dortoirs. Il faut assouplir cette règle,  favoriser la multifonctionnalité. Il est envisageable d’autoriser un petit commerce, une offre de service, un cabinet médical, un bureau…

art. 5 taille des parcelles. Qui donne une taille minimale des parcelles. Elle induit de penser uniquement en parcelle. Il devrait être possible d’avoir de petites parcelles et des espaces communs (de jardins partagés, de jeux ou pour garer les voitures).

Art. 6 recul d’implantation par rapport à l’alignement. En général de 5m, la longueur d’une voiture. Ces quartiers sont construits en rupture avec les tissus plus anciens et empêchent l’optimisation de la parcelle. Il ne faut pas interdire la mise à l’alignement. Cela impose une réflexion non plus sur la clôture, la limite, mais sur le seuil et le passage.

Art.7 recul par rapport aux  limites séparatives et Art 8 distance à respecter entre deux constructions . C’est par excellence la règle séparative, la mise à distance avec pour résultat la villa isolée au milieu de son terrain. Il ne faut pas interdire les constructions soient accolées. Cela impose de penser la jonction, de s’accorder entre deux opérations.

Art. 9 emprise au sol des constructions : Cet article empêche l’utilisation plus dense des rez-de-chaussée. 100% de la parcelle peut être utilisée au rez-de-chaussée (commerce, activités adaptées).  Le coefficient d’occupation des sols basé sur la parcelle devient inutile au bénéfice de celui de l’opération globale (voir article 5), ce qui permet des plans d’ensemble.

L’autre point fondamental est la desserte des terrains et le stationnement des véhicules  art. 3 et 12.  règle qui associe la voiture à la maison individuelle, nécessairement garée sur la parcelle = recul de 5,00m, largeur de 3,00m en façade et 15m2 au sol !

Cette règle de la voiture sur la parcelle qui donne à la voiture plus de terrain et plus d’attention qu’aux jardins et à l’espace laissé aux enfants, stérilise et étanche les territoires. Il ne permet plus la maison de ville ou de village, insérée dans le tissu. Il a contribué au dépérissement de beaucoup de petits centres anciens.

On touche avec la voiture un point sensible de l’usager hyper mobile contraint. Mais toutes ces voiries et ces réseaux, d’abord privés, reviendront un jour à la commune. Elle devra alors les entretenir. Et donc lever des impôts, ce qui est extrêmement impopulaire.

Ainsi, le règlement est séparatif, niant tous les fondements du sol urbain complexe et les liens avec le paysage. Il ne règle pas la manière de construire et de vivre ensemble, mais il impose, souvent, une esthétique homogène

  • le toit doit avoir telle pente et tel matériau
  • la clôture doit avoir telle hauteur et telle constitution
  • l’enduit doit avoir telle couleur
  • pas de métal, pas de bois…

Bien sur ces réflexions et ces constats existent déjà sur certaines opérations et à l’étranger. Il s’agit de s’appuyer sur ces opérations afin que les PLU réglementent autrement ces parties de territoire qu’on destine aux lotissements. Pour concilier le rêve d’habitat individuel et l’attention à la fois des quartiers bâtis et du paysage, des nouveaux usages et de l’environnement.

Nous sommes occupés, à juste titre, à étudier les territoires des cités en renouvellement urbain, à intervenir dans le développement passionnant des métropoles et parallèlement on laisse faire tous ces petits crimes entr’amis.

Il n’y aura pas d’innovations véritables dans l’habitat sans que la question du sol – du chemin qui mène à la maison – et celle de la manière de vivre ensemble ne soient posées.

Introduire une complexité du sol, c’est organiser des dispositifs de liaisons, des contacts, des croisements, du temps. Il faut alors faire appel à des professionnels qui traitent de cette complexité, qui sont formés à la synthèse, c’est à dire les architectes, les urbanistes, les paysagistes. Exit les maisons génériques sur catalogue Phenix, Bouygues, Kaufmann, etc. et là on touche à la mécanique économique, engagée sur ces territoires.